PARIS BREST PARIS 2007
Comme à chaque Paris-Brest-Paris ainsi qu’à chaque épreuve longue et difficile depuis 1991, j’ai pris l’habitude d’écrire quelques lignes, dans la quinzaine qui suit l’épreuve, avant que les souvenirs et les sensations ne se diluent dans le temps. Les écrits restent…..
J’écris ces quelques pages pour moi principalement, afin de ne pas oublier les détails qui font les souvenirs. Il m’arrive de relire les récits des éditions précédentes et cela me fait encore parfois frissonner. Cependant, il devient de plus en plus difficile d’écrire sur ce thème, car j’ai parfois l’impression de me répéter.
Je propose ce texte à ceux qui sont intéressés, mais je n’ai aucune prétention littéraire.
La préparation
En 1999, j’avais dit : « c’est mon dernier Paris-Brest ». Pourtant, se dire que c’est la dernière fois qu’on fait quelque chose me semblait un peu définitif. La préparation longue et fastidieuse de cette édition m’avait amené à prononcer cette affirmation. Pourtant le résultat avait été très bon (3ème en 44h39)
En 2003, édition suivante, mes fonctions de principal de collège ne me permettaient ni de m’entraîner suffisamment, ni de me libérer juste avant la rentrée pour une telle épreuve. Cela tombait bien, car je n’étais pas encore prêt à faire la course derrière et je n’avais plus les moyens de la faire devant. Pourtant, j’ai accompagné cette année-là les concurrents sur la portion Carhaix – Brest-Carhaix, et cela m’avait fait très envie
Quatre années plus tard, à 55 ans, libéré de mes responsabilité de directeur de collège (j’avais décidé de lever le pied professionnellement en me reconvertissant en enseignant de mathématiques), j’ai vu là une opportunité de renouer avec l’épreuve, mais cette fois sans ambitions particulières.
Pour bien affirmer cette façon de voir les choses, je décidais de parcourir les 1250 Km sans assistance, en me contentant des ravitaillements proposés par l’organisation.
Cela faisait 7 ans que je n’avais pratiquement jamais dépassé la distance de 100 Km en vélo ni roulé sous la pluie. Il fallait donc que je me réhabitue aux distances importantes en solitaire, aux conditions météo défavorables, aux heures de selle.
Au fur et à mesure des brevets qualificatifs, la forme est revenue. J’effectuais ces obligations à différents endroits en fonction de mes disponibilités : Le 200 Km à Nantes, le 300 Km à Pontivy, le 400 Km à Carhaix et le 600 Km à Loudéac. A chaque brevet, je terminais dans le groupe de tête (toujours restreint à moins de 8 personnes) sans difficulté particulière. Le 400 Km très difficile à cause des conditions météo très défavorables confirmait ma bonne forme : malgré deux chutes, un gros hématome à la cuisse, un dérailleur cassé m’obligeant à des développements très inappropriés (39 x 13 et 51 x 13), je terminais dans un groupe de 4 en tête.
Le mois de juillet et le début d’août fut comme d’habitude chargé en Km (4300 en 43 jours en roulant 6 jours par semaine). Au 15 août, je totalisais un peu plus de 15000 Km, soit 2000 de moins que lors des 2 précédentes éditions. La difficulté croissante de récupération liée à l’âge explique ce moindre entraînement. Je n’avais pas fait de courses cyclosportives de préparation mais toute les semaines, j’effectuais une séance de fractionné (les sportifs connaissent : il s’agit d’aligner des périodes de 2 à 20 minutes d’efforts intenses entrecoupées de récupérations courtes, afin d’améliorer la capacité à rouler vite).
Les sorties épisodiques avec le club de Rospez confirmaient mon évolution dans la forme physique.
Au fur et à mesure de cette préparation, mon entourage familial (Janick, Julien) et sportif commence à me mettre la pression en me disant que je pouvais encore figurer parmi les meilleurs .
Tout prend forme quand Janick me dit qu’elle tient absolument à m’assister, au moins sur la partie bretonne du parcours. Comme je ne veux pas qu’elle le fasse seule, elle sollicite Jean-Paul, fidèle accompagnateur des 3 éditions précédentes. J’accepte alors cette assistance réduite à 2 personnes sur la moitié du parcours, le reste de l’épreuve, soit les 300 premiers Km et les 300 derniers étant effectués en autonomie.
Quelques semaines avant la date du départ, Jean-Paul se désiste et est remplacé instantanément par Michel. Comme Michel ne connaît pas la mécanique du vélo, je sollicite Yves (Bonnamour), ancien cycliste professionnel, et actuellement triathlète du club de Lannion.
L’équipe d’assistance s’étoffant, la pression monte automatiquement d’un cran. Il est même question que l’équipe d’assistance aille jusqu’à la fin de l’épreuve si je suis bien placé dans un groupe qui avance vite. Je n’ai pas voulu céder sur une assistance débutant dès Paris. Cependant, l’assistance de Rémi Hamelin, avec qui il est convenu que je monterais au départ, pourra éventuellement me ravitailler au cours de ces 300 premiers Km.
Autant dire que je vais sans doute être assisté sur presque tout le parcours
Au mois de juillet, j’en suis à la situation suivante : je n’ai toujours pas d’objectif particulier, mais je tenterai de suivre les premiers le plus longtemps possible, en levant le pied dès que je sentirai que l’effort trop important risque de compromettre mes chances de terminer l’épreuve, l’objectif majeur étant d’aller au bout sans dommage.
Cette situation, un peu en opposition avec mes objectifs initiaux, j’en porte l’entière responsabilité. La pression que me mettait mon entourage, j’étais prêt inconsciemment à l’accepter, sans aller jusqu’à dire que je la souhaitais.
L’épreuve
Je partage les deux journées qui précèdent le départ (trajet aller, contrôle des vélos, attente, etc.) avec Rémi. Ces deux journées se passent très bien, Rémi étant un compagnon très calme et pondéré.
Les conditions météos prévues ne sont pas bonnes : pluie et vent sont au programme dès le départ et jusqu’à la fin. Certaines météos optimistes annonceraient un peu de soleil sur Brest.
Je suis très inquiet car j’ai horreur de la pluie, à cause du froid et des risques de chutes sur chaussées glissantes que cela entraîne.
Je rencontre aux environ du gymnase des droits de l’homme à Guyancourt, où démarre la randonnée, des connaissances dont Michel Mingant (recordman de l’épreuve en tandem et ex-vainqueur du Bordeaux-Paris, il a l’objectif de faire moins de 50h) et Robert Fleck. Robert fait partie du club de Rospez, bien qu’il habite à Hambourg où il est directeur du musée d’art contemporain. Il ne manque jamais de venir s’entraîner à Rospez quand il vient visiter sa famille dans le Trégor. Je pense qu’il devrait faire un bon Paris-Brest-Paris. Il avait dû abandonner en 2003 à l’approche de l’arrivée à cause de fortes douleurs tendineuses.
L’assistance de Rémi, qui est montée à Paris avec ma voiture (il me la faudra au retour, si ma propre assistance s’arrête à Fougères), nous rejoint quelques heures avant le départ.
À 17h30, (le départ est prévu à 20h ce lundi 20 août), nous nous présentons devant la grille de l’allée du départ. Il y a déjà au moins 200 personnes. 5300 concurrents sont attendus, dont 1800 en trois vagues de 600 espacées de quelques minutes à ce départ de 20h, près de 3000 à celui de 22h et le reste à celui de 5h le mardi 21 août.
Le ciel est très menaçant, de gros nuages noirs donnent des avertissements en lâchant de temps en temps quelques gouttes disparates.
Dans l’aire de départ, je rencontre plusieurs têtes connues et cela fait passer un peu plus vite la longue attente : les autres concurrents de Rospez et ceux des environs de Lannion, Jean-François Pélicart, avec qui je terminais en tête du 600 Km de Loudéac, Philippe Deplaix et Christophe Bocquet, vainqueur du PBP 1999. J'avais eu l’occasion de rencontre Philippe aux hasards des Bordeaux-Paris où autres randonnées, mais je ne connaissais Christophe que de nom et par les photos de presse. Il est très agréable et je sens que le courant passe entre nous.
Jacques Seray, journaliste passionné du PBP vient également m’entretenir un moment du livre qu’il prépare sur cette épreuve.
A 20h05, après d’interminables discours des personnalités locales où des instances fédérales et les dernières consignes de sécurité, le départ est donné au coup de pistolet et feux d'artifice.
Je me situe dans les 150 premiers. Je m’évertue aussitôt à remonter le plus près possible de la tête de course, près des voitures qui régulent l’allure pendant les quinze premiers kilomètres, jusqu’à la sortie de Saint-Quentin-en-Yvelines. J’y arrive sans trop de difficulté, mais pour s’y maintenir sans se faire déborder de tous les côtés, il faut jouer des coudes. Je fais cela pour éviter les chutes, dont le risque s’accroît au fur et à mesure qu’on s’éloigne de l’avant, ainsi que pour éviter les effets d’élastiques liés aux passages des ronds-points, ralentisseurs, rétrécissements de chaussées, etc.
Quand les voitures nous libèrent, l’allure augmente bien un peu, mais de manière raisonnable, vu le vent défavorable. Je souhaitais un peu ce vent défavorable à l’aller car il diminue l’allure et, à condition de bien savoir s’abriter du vent, facilite l’évolution.
Philippe Deplaix et Christophe Bocquet confirment leur bonne forme en faisant une grande partie du travail. La route est toujours sèche, elle ne deviendra humide qu’à l’approche du premier contrôle de Mortagne-au-Perche, au bout de 140 Km. Je me maintiens dans le vingt premiers pour éviter de subir une cassure éventuelle du peloton. L’allure sur le plat avoisine les 40 Km/h.
Michel Gaultier, de Rospez remonte à mon niveau pour me saluer. Il me paraît bien dans l’allure.
Yoann Moureau (jeune cycliste de 29 ans, avec qui je terminais les brevets de 300 et 400 Km) mouline très rapidement à quelques rangs devant moi.
A Longuwy-Au-Perche, 100 ème Km, première vraie difficulté, le peloton accélère. Je perds quelques places mais reste dans le groupe avant. Vu l’allure à laquelle nous l’avons montée, nous avons dû perdre quelques éléments. Cependant le peloton compte encore plus de cent éléments.
Je sais que la course ne deviendra plus calme et régulière que lorsque nous ne serons (où qu’ils ne seront) plus qu’une trentaine. Jusque là, il faut s'attendre à de nombreux coups de boutoirs. C’est là que mon entraînement derrière la voiture de Julien va servir.
A l’approche de Mortagne, plusieurs difficultés se suivent et se ressemblent. Les côtes sont montées à un rythme qui me convient. Par contre les descentes me paraissent rapides, car la route est devenue humide et par conséquent plus glissante. Les derniers Km avant ce ravitaillement sont ultrarapides, tout le monde voulant se faire ravitailler dans les premiers. Je ne m’affole pas : Jean-Claude doit me passer un bidon, mais si je ne l’ai pas, ce n’est pas grave car j’ai prévu ce qu’il fallait pour aller jusqu’à Fougères.
Je descends de Mortagne prudemment car la route est très glissante (je l’ai constaté lors d’un coup de frein un peu brutal dans Mortagne, ma roue arrière est partie de travers). Je perds donc des places dans la descente mais les reprends très facilement dès que la route s’élève.
Philippe et Christophe sont toujours aussi généreux. J’espère pour eux qu’ils n’en font pas de trop.
Même scénario à l’approche de Villaines-La-Juhel, sauf que là l’enjeu est plus important, car le pointage est obligatoire et les places dans les premiers à pointer risquent d’être chères. Un cycliste de l’US Métro, qui connaissait bien mon passé cycliste, me dit qu’à ce pointage, il a l’intention de tenter de passer dans les premiers afin de faire ensuite le trou avec quelques autres cyclistes. Il me propose de l’accompagner. Je ne m’engage pas et laisse faire les choses.
Plus on s’approche, plus les accélérations sont nombreuses, presque des sprints pour remonter à l’avant du peloton. La route étant toujours aussi glissante, je me présente à l’entrée du contrôle pas très bien placé. Catherine, qui fait partie de l’assistance de Rémi, me propose de tenir mon vélo. Je me précipite alors au pointage, où je passe en même temps que Christophe et bien devant Philippe. J’aurai donc du soutien pour revenir sur ceux qui sont déjà partis.
En effet, Christophe et moi, nous nous relayons (plutôt lui que moi) pendant les 5 Km suivant pour revenir sur la tête. OUF ! Nous sommes à peine une cinquantaine.
Quelques Km plus loin, quelqu’un m’interpelle dans la nuit : c’est Michel Mingant qui est revenu de la 2ème vague en nous reprenant 15 min en 120 km. C’est une bonne tactique (non préméditée, à ce qu’il me semble), car maintenant, il suffit qu’il reste avec la tête de course pour avoir course gagnée. Encore faut-il qu’il y reste après la débauche d’efforts qu’il a dû consentir pour nous rejoindre !
Je redoute maintenant l’approche de Fougères, ville étape suivante, car si nous battons à nouveau pour pointer en tête, les risques de chute sont accrus du fait de la grande taille de la ville et des nombreuses rues et ronds-points que nous devons franchir.
Christophe a la bonne idée de proposer un arrêt de 5 min. pour que nous repartions tous en même temps. Comme il est manifestement l’un des plus fort du groupe, il est écouté.
Mieux : quelqu’un propose un arrêt pipi et tout le monde s’arrête. Cela m’arrange. J’ai bien essayé de me soulager en roulant mais cela m’a été impossible à cette allure.
A la sortie d’Ambrières, peu après 4h du matin, j’ai le plaisir de voir Catherine (épouse de Michel) qui m’attend pour m’encourager. Elle est très contente de me savoir en tête et préviendra mon assistance de mon arrivée à Fougères.
A Fougères, aucun problème, si ce n’est les tours et les détours que l’on fait dans la ville pour atteindre le contrôle. J’y retrouve avec une grande satisfaction mon assistance qui commence son travail.
Je repars avec de la nourriture fraîche (sandwiches et crêpes) et soulagé de mon camelback.
L’étape suivante, courte de 56 Km ne change pas la situation sauf que le jour se lève. La route est toujours mouillée et une petite bruine collante tombe en permanence.
Cette étape et celle qui suit jusqu’à Loudéac sont relativement faciles à l’aller. A l’approche de Loudéac, nous convenons, comme à l’accoutumée maintenant, de 5 min d’arrêt. Nous avons également pris l’habitude de nous arrêter ensemble à la sortie de la ville contrôle pour soulager notre vessie. Ce moment de convivialité mériterait bien une photographie.
La sortie de Loudéac s’annonce difficile : plusieurs longues montées s’y succèdent. C’est à cet endroit que nous avions fait la différence en 1995, l’année de notre record.
Qui va tenter quelque chose. Moi, je ne m’en sens pas la force, et si quelqu’un le fait, je ne suis pas sur de pouvoir y répondre.
Heureusement, toutes ces difficultés sont montées au train, en tout cas à un rythme qui me convient. La dernière grosse difficulté est la côte de Merléac qui doit bien faire 3km de long. Je pense que nous devons y perdre quelques éléments car nous pointerons à peine 25 à Carhaix.
Un contrôle secret à Corlay oblige à un arrêt supplémentaire.
Un motard de l’organisation nous suit depuis un bon moment et remonte souvent à notre hauteur pour nous admonester car nous avons tendance, du fait du vent défavorable latéral, à rouler à gauche de la route. Il le fait de manière très militaire et nous menace d’une heure de pénalité si nous récidivons. Il revient à la charge à l’approche de Maël Carhaix à cause de plusieurs voitures qui nous suivent depuis un moment. Il insiste tellement en nous menaçant à nouveau de pénalités si ces voitures ne quittent pas l’arrière du groupe. Pour le calmer, je me décide à m’arrêter pour parler au chauffeur de la première voiture pour le persuader de s’éloigner. Auparavant, j’ai bien demandé à Hervé Tallabardon de suggérer au groupe de ralentir afin que je le réintègre sans difficulté. Je réussis dans ma tache, mais celle-ci faite, je m’aperçois que le groupe n’a pas ralenti. 5 Km de chasse et je reviens, mais cela m’impose un effort dont je n’avais pas besoin. Je remonte en faire le reproche aux hommes de tête, qui s’excusent, mais ils n’avaient pas été prévenus !.
Carhaix : tout le monde descend.
Nous faisons escale au lycée Paul Sérusier, à l’entrée de Carhaix. Je connais bien ce lycée pour y être venu à plusieurs reprises en réunion de personnels de direction de l’EN. Cette fois, mon passage sera bref : 5 min. comme d’habitude
Mon assistance est toujours aussi efficace :
Yves se saisit de mon vélo. Son rôle est de vérifier que tout est OK (pneus, freins, huile sur la chaîne, etc.) et de changer les bidons. Tout est fait de manière professionnelle. Quand je l’avais sollicité pour faire mon assistance, j’ai bien sûr été flatté qu’il accepte (vous pensez : un ex-cycliste professionnel, c’est une étiquette qui lui restera éternellement collée à la peau) mais je savais que tout serait nickel. Il fait partie des gens de confiance qui font ce qu’ils disent et qui disent ce qu’ils font.
Michel, très impliqué dans la course, me guide jusqu’au pointage en s’informant de mes besoins, me récupère à la sortie pour me remplir les poches. Lors des premiers pointages, il était un peu énervé : C’était sa première participation
Janick : toujours à bloc, comme dira Yves après la course. Elle m’enfile cuillérée sur cuillérée de semoule, même si j’ai déjà les dents du fond qui baignent à force de manger. Elle me passe la pommade Cétavlon pour mettre où vous pensez (c’est une pommade que je mettais à mes enfants pour éviter les irritations sur leurs fesses) ainsi que de la pommade Percultalgine sur le genou gauche qui me fait légèrement souffrir depuis Fougères. Celui-là m’inquiète, car si la douleur s’accentue, il n’est pas sur que je puisse la supporter encore 800 km.
Christine, épouse d’Yves est venue à Carhaix. Elle a sans doute reçu des consignes, car d’autorité, elle me passe un gant sur la figure et les mains.
J’ai aperçu sur la route qui mène à Loudéac puis Carhaix Philippe TUAL (44h30 en 1995), Guy Dupuis (ex Paris-Brest en 50h) qui fait un reportage photos sur les trégorrois.
Carhaix-Brest sera l’occasion de constater que ma forme est constante. Je grimpe plutôt mieux que l’ensemble du peloton et je sais bien m’abriter sur le plat. La sortie d’Huelgoat et la montée de Roc Trévézel se font vent défavorable, et plus on monte, plus ça souffle. Il commence à tomber un petit crachin. Cependant, les spectateurs sont déjà assez nombreux. De temps en temps, j’entends un « allez, Hervé ». Très occupé à m’abriter du vent, je n’ai pas toujours eu le temps d’en reconnaître les auteurs.
10 Km de descente rapide jusqu’à Sizun. Un membre du peloton, originaire de cette ville, fait la fin de descente à fond pour passer en tête devant tous ses supporters.
Après Sizun, une longue côte nous propulse 200 mètres devant le groupe, Michel Mingant et moi. Nous continuons sur notre lancée, en se disant que Christophe ferait le ménage dans le groupe pour revenir sur nous. Mais ils reviennent tous groupés au bout de 3 Km.
L’approche de Brest par Loperhet et Plougastel Daoulas est ponctuée par le passage du pont Albert Louppe qui nous offre une vue magnifique sur le nouveau pont suspendu et sur la rade de Brest.
Ensuite après la traversée du Relecq Kerruon et le passage à proximité du port nous entamons la longue montée vers le lycée Charles de Foucault. Nous nous entendons de nouveau sur 5 min d’arrêt. La montée se fait donc au train sans appréhension. Cependant, je me maintiens près de la tête afin de pointer rapidement et d’avoir ainsi plus de temps avec mon équipe.
Pommade, café, semoule, bisous à Janick et c’est reparti avec mon vélo ravitaillé et contrôlé. Vers Guipavas et Landerneau. Le parcours est très vallonné de long faux plats et de vraies côtes (au bout de 600 Km nous ne faisons plus la différence).
Pour moi, le passage à Brest à toujours eu une signification particulière : on peut être pessimiste et se dire qu’il reste encore 600 Km à parcourir. Moi, je me suis toujours dit : plus que 600 Km et on peut maintenant commencer le compte à rebours. Comme si l’on grimpait un sommet (Brest) et que l’on entamait la descente.
Après l’arrêt pipi habituel concerté à la sortie de Guipavas, nous constatons de nouveau la perte de quelques éléments. En particulier le Grand Braquet de l’aller n’est plus là. Il n’utilisait presque jamais son petit plateau et pédalait dans les côtes à 20 tr/min (le pédalage idéal avoisinerait plutôt les 60 tr/min). Je m’étais dit : il ne dépassera pas Brest. J’avais raison et tort : il lâchera à Brest, mais ne nous concèdera pas beaucoup plus de 2h à Paris. C’était une force de la nature, pas vraiment taillé comme un cycliste, un peu gras et pas frileux du tout : il fera tout le PBP sous la pluie et le vent, nuit et jour avec un cuissard court, un maillot sans manche sur un sous vêtement léger à trous, pas de chaussette dans les chaussures.
Nous passons Landerneau en pleine circulation (vers 17h) et entamons la longue montée vers Sizun
La montée vers Roc Trévézel (10 Km) se fera toujours au train mais un peu plus rapidement que dans l’autre sens car le vent est portant (3/4AR). En haut, il y a toujours du monde.
Nous avons commencé à croiser des cyclistes de l’aller dès que nous avons retrouvé ce circuit à Sizun. En particulier, nous avons vu un vélo étrange : il s’agissait d’un tandem rameur couché, les deux cyclistes étant dos à dos.
Roc Trévézel est suivi d’un toboggan, que j’oublie toujours d’une session à l’autre. Je crois me souvenir que Carhaix est en bas de Roc Trévézel. C’est faux, il y a au moins 4 longues cotes (elles deviennent de plus en plus longues et de plus en plus dures au fur et à mesure des Km) avant ce contrôle.
Stéphane Hascoët, puis Jean-Yves Le Pape, (et d’autres, que je n’ai pas eu le temps de voir) me regonflent le moral par leur présence et leurs encouragements. Merci
Carhaix, c’est l’accueil en fanfare, Tout Rospez et tout Lannion est là. Je ne sais plus où donner de la vue. Je ne citerais personne en dehors de Thierry Pichot (président de Lannion Triathlon) et Yves Pichodou (président de l’AC Rospez) En plus de celui de mon assistance (mais eux, ils sont payés pour ça), les encouragements de tous ceux que je connais me vont droit au cœur.
Comme nous allons attaquer la deuxième nuit dans l’étape Carhaix-Loudéac, nous nous octroyons un arrêt commun de 15 min. Cela nous laisse le temps de nous changer complètement. Renaud (il était déjà là à l’aller) a préparé mes vêtements et m’aide à les enfiler. Je passe sur les commentaires peu flatteurs qu’il fera sur ma virilité. Je demande à le voir après 24h d’efforts sous le mauvais temps. Merci quand même, Renaud.
Nous nous équipons pour la nuit avec la chasuble réfléchissante obligatoire et les lumières sur le vélo
Je repars en faisant le plein d’encouragements, serein.
Au sortir de l’arrêt de Carhaix, un cycliste (celui qui est originaire de Sizun) me demande, connaissant mon expérience sur PBP, comment je fais pour gérer le sommeil. Je n’ai pas de solution. La 2ème nuit est toujours difficile. Je me contente de boire du café aux arrêts. J’ai pris 2 vitamines C, mais cela me donne des remontées gastriques désagréables. Manifestement, il tombe de sommeil alors qu’il ne fait pas encore nuit. Je lui conseille, si cela ne passe pas, de s’arrêter un peu, ne serait-ce que 20 minutes. Bien sûr, il perd le groupe et toutes ses chances de finir en tête, mais cela vaut mieux que de risquer la chute. Ils seront deux à s’arrêter là pour un peu de repos.
Après deux dizaines de Km, je commence à sentir une grande fatigue. Est-ce l’approche de la 2ème nuit que je redoute beaucoup, ou le crachin qui commence à s’installer, ou encore l’approche du passage très difficile d’avant Loudéac. Je ne sais pas. Ce n’est pas le sommeil, mais la sourde impression que je ne suis pas dans le rythme. Mes jambes sont lourdes et le moral est en bas. Même s’il est souvent dit que l’expérience est une lampe qui nous éclaire dans le dos, dans le cas présent, elle me sert : Je sais qu’il y a parfois des passages à vide et que la forme revient petit à petit. Il suffit de digérer ce passage en espérant que l’allure va rester régulière et qu’il n’y aura pas de velléités d’échappées. L’étape sera difficile. Je me maintiens plutôt à l’avant du peloton. La longue bosse de Merléac, je la monterais même en tête, à la fois pour dépanner Christophe, dont l’éclairage avant est déficient (un défaut d’éclairage peut entraîner une pénalité d’une heure) et pour imposer mon rythme très lent. Tout le monde semble s’en accommoder, car personne ne m’y dépasse. Les descentes dans la nuit humide et sur les chaussées glissantes me font peur. Les cyclistes, de plus en plus nombreux remontant sur Brest, nous éblouissent de leurs lumières plus ou moins fortes. A l’approche de Loudéac ils formeront une file presque ininterrompue. J’ai bien cru que j’allais terminer cette étape seul, décroché du groupe, tant je me suis senti mal. Je me suis accroché et l’expérience me soufflait que quand ça va mal, ça ne peut que s’améliorer. J’arrive à Loudéac, le moral en berne, que mon entourage a du mal à remonter.
La foule à Loudéac et impressionnante. Le gros de la troupe de l’aller est là. Je me perds dans la foule et ne retrouve pas mes accompagnateurs. Enfin, les voilà. Je vais vite pointer et je repars rapidement. Nous avons convenu de nous retrouver à la sortie du pointage pour repartir ensemble, mais je n’ai aucune idée du temps que j’ai perdu à les chercher.
J’ai eu le temps de saisir la tasse de café que me tend François-Xavier. Il a dû se dire que je n’irais pas loin dans l’état moral dans le lequel je suis. François-Xavier, c’est la seule fois que j’ai été si bas.
Ouf, ils sont là qui attendent et je ne suis pas le dernier. Nous repartons en groupe (peut être un peu moins de 20), nous arrêtons à la sortie pour la raison habituelle. Je me sens mieux. Nous allons vers Tinténiac, puis Fougères, qui marquera les ¾ de la course. Normalement, mon assistance s’arrête à Fougères. Je ne leur en ai pas encore parlé, mais je sais qu’ils vont vouloir aller jusqu’à la fin, que je sois encore dans le groupe où non.
Je sens que mon corps réagit mieux que dans l’étape précédente. J’ai moins de mal à rester dans les roues quand ça roule vite sur le plat. Comme j’en ai toujours eu l’habitude, je m’arrange toujours pour ne pas être dans les derniers du groupe. Le risque de décrocher est repoussé car j’ai ainsi le temps de voir le reste du groupe passer si le rythme s’accélère.
Depuis que la nuit est tombée, une pluie fine tombe, fait briller la chaussée et la rend glissante. Mon attention sur tout ce chemin du retour est entièrement captée par cela : le risque de chute. D’autant plus que notre visibilité est réduite. Nos lumières ne sont pas des phares de voitures, les vélos qui viennent en face et qui remontent sur Brest nous éblouissent souvent. Les routes sont étroites et sinueuses, les marquages au sol inexistants ou très rares.
Essayez d’imaginer que vous roulez à 50 à l’heure dans les descentes, très près de la roue qui vous précède pour ne pas perdre l’aspiration, de l’eau plein les yeux, sur un route où vous ne pouvez pas vous permettre un coup de frein brutal. Je suis très souvent dans cette situation et reste très vigilant. Je crois que cela m’a servi, car je n’aurais pas une seule fois envie de dormir.
Le jeune Danois nous pond un relais très appuyé sur plusieurs Km.
La suite va être dure pour moi s’il est capable de faire cela après 850 Km de course. Plus un bruit dans le peloton, seulement celui des roues sur la route mouillée. Enfin, il passe la main à Christophe, dont l’allure légèrement inférieure nous soulage. Les relais danois était un baroud d’honneur, car on ne le verra plus une seule fois devant (était-ce un test ?)
Illifaut, contrôle secret : c’est au même endroit qu’en 1999. Passage éclair, ponctué par la colère du cycliste de Lyon (le plus jeune du groupe) qui nous traite de fous de rouler à cette allure dans les conditions dangereuses actuelles. Ses reproches s’adressent principalement à Christophe qui mène souvent l’allure. Il a raison, mais pour qu’il soit écouté, il devrait se mettre devant et régler l’allure lui-même.
Ce qu’il fait peu de temps après, à la faveur d’une longue côte montée rapidement. Il passe devant, accélère et sort en costaud. En haute de la côte, il est déjà à 200 mètres et il maintient son effort. Il va au suicide de partir ainsi tout seul dans la nuit. La route est un peu plus sèche et il ne pleut plus. Sa lumière rouge AR s’éloigne rapidement et disparaît même parfois au gré des virages. Pas de réaction au début, j’en suis soulagé. Je ne sais pas du tout comment je vivrai une course poursuite éventuelle. Cela ne dure pas : Ceux que l’on n’a pas vu à l’avant depuis plusieurs heures se manifestent. Ca gicle de partout, je fais de mon mieux et réussis à me maintenir à distance raisonnable des premiers poursuivants. Les descentes sont négociées tout schuss, heureusement sur route maintenant sèche. Le feu rouge au loin ne semble pas beaucoup se rapprocher. Nous sommes à une dizaine de Km de Tinténiac. Ce contrôle risque de se faire très rapidement si la situation n’est pas réglée avant. Enfin, au bout de 4 ou 5 Km, son feu AR semble se rapprocher. Nous revenons alors rapidement sur lui. Nous nous regroupons tous (nous sommes maintenant à 11.)
Je lui demande la raison de ce feu de paille. Il me répond qu’il a fait cela pour s’amuser. "J’espère que tu as pris ton pied, car nous, ça nous a fait mal " lui répondis-je.
Il ne passera plus devant, lui non plus, d’ici à l’arrivée. Il est loin de l’état d’esprit de Christophe et Michel, qui roulent vite, c’est évident, mais qui en font profiter le groupe. Des échappées comme on vient voir ne font que desservir le groupe, d’abord parce que ces accélérations brutales qu’elles nous imposent nous fatiguent sans que l’allure globale ne soient augmentée, ensuite parce qu’elles jettent la suspicion entre nous. Qui, de ceux qui ne prennent pas de relais, sont capables de refaire cela ?
Pour ce coup de pétard (mouillé ?), je vois plusieurs raisons : Il cherche à s’échapper pour finir seul ou avec 2 ou 3 autres qui auront réussit à revenir sur lui en faisant exploser le groupe. En tout cas, seul, comme je l’ai dit plus haut, c’est suicidaire. Deuxième raison : il cherche à tester le groupe ou à affirmer qu’il est là, qu’il faut compter sur lui. Il faut dire qu’il est le plus jeune, qu’il n’a aucune expérience sur Paris-Brest-Paris, qu’il se trouve dans un groupe ou il y a au moins 5 qui ont une grande expérience de cette épreuve (moi, Bertrand Lavelot et Hervé Tallabardon, co-vainqueurs en 95 et co-détenteur du record officiel de 43h20, Christhope Bocquet, vainqueur en 99, Michel Mingant, vainqueur et recordman en tandem en 99). La 3ème solution, c’est une grosse envie de dormir : une accélération brutale et longue, quand on en a les moyens, rien de tel pour se réveiller.
Il est 2 heures du matin. Nous arrivons à Tinténiac, encore tout excités de cet évènement, mais le groupe paraît ressoudé et nous convenons de l’arrêt de 5 min.
Tinténiac- Fougères, l’étape la plus courte à l’aller et au retour, ne mesure que 56 km. Au moral, nous marchons ainsi étape par étape. De se dire : il ne reste plus que 400 Km est trop difficile. Il est préférable de se dire qu’il ne reste plus que 50 Km avant le prochain contrôle.
Mon assistance, comme je l’ai dit plus haut, doit me quitter à Fougères mais j’imagine bien qu’ils vont vouloir continuer. Nous n’en avons pas parlé à Tinténiac. En en parlant pour faire passer le temps avec certains membres du groupe, je retrouve très vite une grande solidarité. Christophe et le Lyonnais (oui, même lui), séparément, me proposent de me ravitailler entre Fougères et l’arrivée (j’apprendrai à l’arrivée, que Dominique Briand, assistant du Lyonnais, avait préparé des bidons pour moi aux ravitaillements suivants).
Cela ne m’effraie pas de devoir faire les 300 Km sans assistance (comme à l’aller, un camelback de 2 litres, 2 grands bidons de 0,75l et les poches pleines, cela me suffira. Ce qui me manquerait le plus, c’est l’attention que mon assistance m’accorde aux arrêts et l’affection que j’y retrouve. Et je serai certainement frustré de ne pas partager la joie de l’arrivée avec eux. Je pense qu’eux aussi seraient frustrés de ne pas aller au bout, quelles que soient les circonstances, mais en particulier dans celle que l’on connaît.
Au bout de quelques Km après Tinténiac, la route est sèche, je vois Michel Mingant, qui est devant, qui fait des écarts anormaux. Ce n’est pas sa façon habituelle de rouler. Dans un grand virage, sur une route très large, je le vois ostensiblement attiré par une voiture qui vient en face. Je crie très fort son prénom, Christophe aussi. Il redresse sa trajectoire, en fait, il se réveille. Je vais le voir, il ne se souvient de rien. Il était sans doute en train de s’assoupir.
Nous arrivons à Fougères peu après 4h du matin. Un raidard à 18% juste avant le contrôle éparpille un peu le groupe. Le Hollandais farceur arrive le premier (15 secondes) et fait croire qu’il est maintenant seul devant. Soulagement des accompagnateurs, quand il avoue qu’on arrive juste derrière.
Je n’ai même pas évoqué avec mon équipe le sujet de la poursuite de leur assistance. Cela allait sans doute de soi, car je repars avec le ravitaillement habituel.
Parlons de ravitaillement. C’est une question que l’on me pose souvent. Il faut d’abord savoir que l’organisme consomme entre 500 et 600 kcals de l’heure en effort d’endurance, soit 25000 kcal pour 50h. Un sédentaire doit consommer environ 2000 kcal par jour. Donc, il nous faut avaler, sous n’importe quelle forme, l’équivalent de 12 jours de nourriture en 2 jours. Imaginez, 12 petits déjeuners, 24 entrées, 24 plats de résistance, 24 desserts, et éventuellement 12 goûters devant vous, accompagnés de 25 litres d’eau. Il va vous falloir ingurgiter tout cela en deux jours et deux nuits. Autant vous dire que c’est une obsession durant ces 1250 km. Faim, pas faim, il faut manger. La main doit naturellement aller vers la poche AR du maillot (cette fois j’ai également un petit sac communément appelé banane autour de la taille, qui est facile à ramener devant pour choisir plus facilement ce qui me fait envie).
Toutes ces calories, je les ai réparties, dans l’ordre de préférence : petits sandwiches jambon beurres de 6-7 cm, crêpes bretonnes beurrées (sinon, c’est un peu sec), tartelettes, far, boissons énergétiques (type Isostar ou autres, je ne suis pas difficile), Nuts, Nougatti, barre de céréales diverses, celles au chocolat blanc sont excellentes, quoiqu’un peu sucrées sur la fin. Pains au chocolat, soupe dans le bidon. Riz ou semoule au lait, pâtes au jambon (j’en ai apprécié le goût salé et poivré) enfournée par cuillerée à la volée par Janick au moment des contrôles.
Yves conseillait de mettre dans mes poches quelques « surprises » : un bout de chocolat par exemple. Je dois dire que la première fois que j’en ai trouvé, j’ai fouillé mes poches et ma banane pour en chercher d’autres.
J’ai eu en permanence l’impression d’avoir « les dents du fond qui baignaient ». Cependant, j’ai toujours pu continuer à m’alimenter. L’hydratation a cette fois posé moins de problème car l’ambiance était plutôt humide. Sinon, l’excès d’eau rempli l’estomac et nuit à l’absorption de nourriture solide.
En tous cas, il faut manger avant d’avoir faim, boire avant d’avoir soif. Il faut également avoir testé tout ce que l’on absorbe (les brevets, celui de 600 Km en particulier, sont là pour çà).
Je me pèserai au retour en Bretagne, un jour et demi après l’arrivée : J’aurai pris 2 kilos. Je pense que j’ai fait un peu de rétention d’eau, mes jambes légèrement enflées, mes chevilles une peu masquées, sont là pour le suggérer. 4 jours après j’ai 1 kg de moins qu’au départ de la course, mes jambes et chevilles étant redevenues normales.
Nous repartons de Fougères toujours groupés. La sortie de la ville est longue et difficile. L’arrêt pipi se fait en haut de la longue côte de sortie de la ville. Nous sommes à 11. Il ne pleut pas, mais la route humide témoigne d’averses récentes.
Jusqu’à Villaines-la-Juhel, il n’y a pas de difficultés particulières. Le jour se lève une petite heure avant qu’on y accède. Le lever du jour marque le début de la dernière journée de course et nous sommes soulagés de ne pas nous être endormi sur le vélo.
Peu après 8h du matin, voilà Villaines la Juhel. Nous savons tous que les deux étapes suivantes vont être difficiles. La Suisse Mancelle nous réserve quelques longues bosses. Le passage de Villaines, c’est cette fois 10 min d’arrêt, quelques pâtes au jambon avalées à la va vite et c’est reparti. Yves a déposé ma lampe avant, j’ai quitté ma chasuble.
Je suis rassuré d’être resté dans ce groupe la nuit. Maintenant, il reste 220 Km à faire. Au pire, en roulant seul à 24 Km/h et en m’arrêtant un quart d’heure dans chaque contrôle, cela me fait rentrer à 18h30, soit un temps total de 46h30 (je suis prof de maths, je sais calculer). C’était inespéré pour moi. J’aurais signé les yeux fermés un temps de 50h avant le départ (il faut savoir que les « moins de 50 heures » ne sont pas légion, même s’ils sont plus nombreux depuis quelques années, soit environ 25 par épreuve.
Mais bien sur, il est hors de question que je me laisse décrocher de suite. Christophe m’a dit, qu’en cas de difficulté, il m’attendra. Même si je lui ai dit qu’il ne fallait pas, qu’il fallait qu’il fasse sa course, cette attention me touche et si je suis en difficulté, je crierais de ralentir. Peut être que cela marchera.
Les côtes à l’approche de Mortagne-au-Perche sont très difficiles. A l’aller nous avons franchi allègrement l’équivalent dans l’autre sens, mais nous avions 800 Km de moins dans les jambes. Elles se montent tout à gauche, au petit train. Un coup de feu 6km avant Mortagne. Crevaison !. Nous avions décidé d’attendre en cas de cervaison, mais une averse récente nous a tous refroidi. Aussi, nous continuons en promettant de l’attendre au contrôle de Mortagne
Le contrôle de Mortagne, que nous abordons peu après 11h est perché tout en haut de la ville. Les 200 derniers mètres sont au moins à 30% !!!!
Nous nous octroyons une pose de 15 min pour se changer et attendre ainsi celui qui a crevé.
Changement complet rapide (maillot, chaussettes, chaussures, tee shirt). Seules les jambières et les sur-chaussures humides vont resservir. Alimentation sommaire également, comme d’habitude. Janick a le temps de m’enfourner quelques cuillerées. Toutes ces petites quantités contribueront à ce que je n’ai pas de fringale.
On me signale que Tallabardon est reparti seul car il est en difficulté et préfère monter les côtes qui suivent à son train. Je n’ai qu’une confiance limitée. Aussi dis-je à mon entourage que je fais de même. Bertrand Lavelot me suit. Nous sortons tranquillement de la ville. Je demande à deux spectateurs qui nous encouragent de dire au groupe que nous les attendons. Ils reviennent petit à petit. Le groupe est maintenant de 10. L 11ème, qui a crevé avant Mortagne n’est pas revenu. Nous apprendrons plus tard qu’il a mis très longtemps à réparer puis qu’il a crevé une seconde fois. Cela arrive parfois, quand le silex ayant entraîné la crevaison n’est pas retiré du pneu.
Les côtes après Mortagne sont montées très lentement. Aussi n’ai-je pas de difficulté à suivre et suis-je agréablement surpris d’arriver assez vite à Longwy-au-Perche, qui marque la fin des grosses difficultés.
Bertrand Lavelot prend un relais très appuyé dans un long faux plat. A chaque fois qu’il passe devant, deux ou trois fois pendant tout le trajet, c’est la même chose : il passe très vite et distance le groupe. D’expérience, nous savons maintenant que ce n’est qu’un feu de paille. En effet, quelques centaines de mètres plus loin, son allure tombe et nous le rejoignons. Il se lance alors dans une diatribe incompréhensible. Il est question d’allure « au ras de la banquette ». Si j’ai bien compris, nous ne roulons pas assez vite à son gré, et ceci pour permettre à Hervé de suivre. J’ai cru qu’il s’agissait de moi. En fait non, il s’agit d’Hervé Tallabardon, qui souffre beaucoup du dos. Le comportement de Lavelot est bizarre. Pourquoi ne relaye-t-il pas davantage Michel et Christophe s’il trouve l’allure trop lente ?.
Une étape supplémentaire est prévue à Dreux. De mémoire je la situais à 90 km de Mortagne. En fait elle est à 70 Km. Nous y arrivons donc sans que je l’attende.
Chute sans gravité du coureur de Lamballe à l’approche du contrôle. Dreux marque le début de la dernière étape. Il reste ainsi 70 Km à parcourir.
Mes poches sont de nouveau remplies, mais un peu plus légèrement que d’habitude. Yves me propose de ne me mettre qu’un seul bidon d’Isostar. Cela suffira pour les 2h30 qui restent, avec l’ambiance humide que l’on connaît.
Nous sommes toujours accueillis avec beaucoup d’encouragements de la part des bénévoles.
5 Minutes d’arrêt suffisent. Nous repartons à 10. La sortie de la ville est assez longue. Une déviation la rallonge encore un peu. Nous zigzaguons dans les lotissements, puis dans les champs. Le vent est Nort-est. Globalement, nous nous dirigeons vers l’est. Il est donc souvent défavorable de ¾ face. Le groupe se disloque souvent. Ceux qui sont en difficulté ont du mal à s’abriter. Les cassures sont fréquentes. Nous attendons souvent que le groupe se reconstitue. La fin promet d’être laborieuse. Je ne peste pas, car pour l’instant, je ne suis pas en difficulté, même si j’ai du mal à prendre quelques relais, mais il est toujours possible que par la suite, le groupe doivent aussi m’attendre.
Je me force à continuer à m’alimenter. A l’approche de la fin de telles épreuves, on a souvent tendance à oublier. On pense qu’on est presque arrivés et on ne s’alimente plus. Et on peut être en panne complète à 30 Km de l’arrivée et dans ce cas terminer seul à 15 Km/h
Arrive la dernière difficulté du jour : la côte de Gambaiseuil. Elle est constituée de deux côtes successives entrecoupées d’un léger replat. Le dimanche matin, lors d’une sortie normale, elle pourrait se monter en force, sur le grand plateau, pour faire le costaud. Là, c’est tout à gauche, et encore cela suffit à peine. Heureusement nous sommes presque tous à la même enseigne (les autres, c’est pire). Je fais l’effort pour être en haut avec les premiers. Nous relançons doucement en attendant les moins rapide.
Je sens que Michel (Mingant) en a marre d’attendre, et il faudrait peu pour qu’il ne décide de continuer sans attendre. Christophe (Bocquet) est presque dans le même état d’esprit. Nous sommes alors à 4. Si j’avais dit à ce moment là : « tant pis pour eux, si vous voulez, on y va », nous terminions à 4. Mais peut-être ai-je mal interprété l’ambiance du moment.
J’ai seulement dit : « nous avons promis de les attendre, j’aimerais que nous tenions notre promesse ». Je tenais à être tranquille avec ma conscience.
Celui qui est le plus en difficulté est Hervé Tallabardon. Notre passé commun cycliste (PBP 1991, 1995, Bordeaux Paris 92 et 94) ne m’a pas donné de raison de lui faire de cadeaux, bien au contraire, mais j’attache une grande importance aux promesses faites.
Nous attendons donc et Michel propose même de pousser Tallabardon afin de ne pas trop traîner. Il a hâte de rentrer, nous aussi.
Il fait ce qu’il dit et de la main droite, aide Hervé dans toute les « côtes ». La fin du parcours est encombrée de ralentisseurs, ronds-points, voitures etc. Heureusement, nous sommes précédés de motards de l’organisation qui nous ouvrent la route et arrêtent les voitures qui croisent notre chemin. Il se met à pleuvoir et je sors mon coupe vent. C’est bien sur pour la pluie, mais aussi parce qu’il est estampillé de mon club de triathlon. On ne sait jamais, il pourrait y avoir des photographes à l’arrivée. Ce sera même mieux : FR3 est par là et certains me reconnaissent aux info régionales de 19h grâce à mon coupe vent. Je le sors de ma poche, je ne suis plus très habile et il va se mettre dans les rayons. Je m’arrête, je l’enfile et je dois alors chasser pour revenir dans le groupe. Michel m’a attendu. Je me rends comte qu’à force de m’économiser, il me reste encore de l’énergie et nous revenons très vite sur le groupe.. Nous convenons d’arriver tous ensemble sur le grand rond-point des Saules, juste avant l’arrivée et d’y faire un tour d’honneur. Ce que nous faisons, à la surprise des spectateurs et des bénévoles qui gèrent l’arrivée. Nous rallongeons ainsi l’épreuve d’au moins 300 mètres.
Nous avions aussi convenu que Michel et Christophe pointent en tête, ils le méritent amplement pour leur comportement pour le groupe. Je pointe en 3ème position.
De toute façon, l’organisation se refuse de faire paraître un classement quel qu’il soit, et nous serons tous les dix crédités du même temps, soit 44h et 48 minutes.
Je mets donc seulement 9 minutes de plus de plus qu’en 1999. Notre record de 1995 tient toujours.
Au vu des conditions de l’épreuve, de mon âge (55 ans), ce résultat est inespéré. J’espérais secrètement un temps de moins de 50 heures mais je n’aurais jamais osé l’afficher ouvertement.
La suite se passe un peu dans les nuages.
Nous pointons une dernière fois notre carte de route, dans l’euphorie.
Nous sommes photographiés de partout, ensemble, sur un podium. Sur le moment je ne m’en rends pas compte, mais nous marchons un peu comme des vieux, légèrement courbés, le dos en vrac. Janick me dit que le temps de la dernière étape, j’ai pris 15 ans. Je le vois sur les photos par la suite : mes yeux sont enflés, mon sourire crispé, mon dos voûté. L’état des yeux est principalement dû à l’impossibilité d’utiliser des lunettes, à cause de la pluie.
Heureusement, le lendemain, j’en aurais regagné 10 et 3 jours après 5 autres.
Après une bonne douche, je retrouve Janick, mon attachée de communication, qui a relevé les adresses e-mail de mes coéquipiers de circonstance (Michel et Christophe) car on s’est quittés un peu rapidement.
Yves et Michel sont pressés de regagner leurs familles et envisagent de partir immédiatement sur la Bretagne avec ma voiture. Janick et moi allons rester passer la nuit sur place et attendre l’arrivée de Rémi. Je conseille beaucoup de prudence à Michel et Yves et les remercie vivement de leur collaboration active. Je suis très fier d’avoir été à la hauteur de leur investissement. (C’est aussi en partie grâce à eux et à leur implication)
Nous allons manger un vrai repas dans le camping car (le premier depuis 2 jours et demi). Et revenons traîner dans le gymnase des droits de l’homme. 4h après nous, il n’y a pas encore 20 arrivées.
A plusieurs reprises, je crois reconnaître Yoann Moureaux, mon partenaire des brevets de 300 et 400 Km, tant un cycliste très fatigué ressemble à un autre cycliste très fatigué. Enfin, à 10h30, soit en 50h et 30 min, il arrive enfin. Les dernières heures ont été difficiles. La pluie n’a pas cessé et l’orientation dans la nuit a posé problème.
Enfin, à 11h, je me couche et dort d’une traite jusqu’à 6h30. Là, je dois me lever car j’ai très mal aux jambes. Il faut absolument que je marche un peu et que je compte mes bobos.
Un peu beaucoup mal aux fesses. Elles ne m’ont pas gêné pendant la course, mais je les ai bien soignées d’une couche de Cétavlon toutes les 3 ou 4 heures, au gré des étapes. Une grande lassitude dans les jambes et une douleur dans le bas du dos. Le massage de l’arrivée par un secouriste a été très succinct et peu efficace. Celui de ma masseuse préférée le sera plus.
Après le petit déjeuner, je repars vers l’arrivée pour attendre Rémi. Je retrouve, à quelques encablures, son camping car et son assistance qui à un peu dormi après l’arrivée de Dreux. Rémi devrait arriver vers 9h30.
Il sera ponctuel, mais Catherine avait anticipé sur la lenteur de la dernière étape. Rémi n’aura dormi qu’une seule fois 3h en 3 nuits. Il est marqué (comme tout le monde), fatigué, mais toujours aussi serein. Il semble déjà avoir oublié les souffrances endurées.
Après un pot en commun au resto d’à côté, nous décidons de rentrer en passant déjeuner au contrôle de Dreux. Nous y retrouvons des bénévoles qui nous ont vus la veille et généreusement photographiés.
Ils nous feront parvenir ces images par mail dès le lendemain.
Le trajet de retour est un peu longuet. Nous arrêtons chez Yves Bonnamour pour récupérer notre voiture, restons un bon moment pour refaire encore la course.
Il est encore plus de 11h quand nous allons nous coucher. Le rattrapage du sommeil ne va pas se faire rapidement.
Je remonte sur mon vélo 2 jours après, sans trop de douleurs, mis à part les fesses qui, malgré l’éosine, ne sont pas encore guéries. Le dimanche, je tente une sortie avec mon club de Rospez, je dois vite y renoncer après 50 Km à cause d’une douleur au genou, la même qui m’a inquiétée dès le 300ème Km.
Elle disparaîtra progressivement. Florent, masseur, a diagnostiqué une petite inflammation de l’attache du tendon rotulien.
Quelques jours après, je prends livraison de mon vélo couché d’occasion que j’ai trouvé par Internet. Je vais enfin pouvoir me reposer, couché sur mon vélo.
Cette 6ème expérience sur cette épreuve, dont 4 parmi les premiers confirme que je dois être doté d’une morphologie bien adaptée aux efforts prolongés, que ma préparation doit être bien programmée et suffisante, même si elle était moindre que pour les éditions de 1995 et 1999 (15500 Km au départ, au lieu de 17500). Cependant, les effets de l’âge sont évidents. En 1995, je pouvais influencer la course, et j’étais souvent acteur dans le groupe. Cette fois, j’ai subi l’allure du groupe sans beaucoup y contribuer. C’est un peu frustrant, mais quel plaisir de pouvoir suivre, et je suis vraiment très satisfait d’avoir pu aller ainsi jusqu’au bout.
Qu’en sera-t-il dans 4 ans ? Je n’ose plus dire que je n’y serais pas, comme je l’avais dit à tort en 1999.
Laissons faire le temps, il se chargera sans doute de décider à ma place.
Ce PBP fut sans doute le plus difficile que j’ai vécu, mais paradoxalement, c’est celui où j’ai le moins craint de ne pas remplir mon objectif. Il est vrai qu’il était beaucoup plus modeste que les fois précédentes. J’avais à chaque fois avoué un « moins de 50 heures » (et secrètement, j’espérais mieux).
Cette fois, n’eût été mon entourage, je serais resté noyé dans la masse du peloton :
Julien m’a dit à chaque fois que je lui parlais du brevet effectué précédemment : « tu vas voir, tu vas encore finir dans les premiers ! »
Au club de Rospez, une quinzaine avant la course : « tu es encore capable de finir dans les dix premiers »
Yves, à qui je parle de poursuivre éventuellement jusqu’à Paris, si je suis dans un bon groupe qui s’arrête peu : « si c’est pour la gagne, il n’y a aucun problème »
Et la pression s’est installée, insidieusement et près la course, je dis « tant mieux »
Je ne leur reproche évidemment rien, étant donné le résultat.
Quand je repense, ou reparle de cette épreuve, j’en ai encore des frissons. Bien sur, j’ai déjà occulté le froid, la pluie, la crainte de la chute, la fatigue, le mal de genoux, pour ne retenir que l’ambiance dans le groupe, l’état d’esprit de Christophe et Michel alors qu’ils étaient en mesure de finir seuls devant tous les deux, la satisfaction de finir à dix après avoir partagé ces 1250 Km, la façon dont les arrêts de contrôle ont été gérés (merci encore Christophe)
Je remercie vivement tous ceux qui ont participé à ma réussite dans ce Paris-Brest-Paris. Je ne vais citer personne car je risque d’en oublier. Tous les encouragements reçus pendant l’épreuve y ont contribué.
Plus particulièrement, je dédie cette victoire à Janick qui a toujours été là, avant, pendant et après. Son adhésion à mon projet était un atout indispensable. Mon assistance sans faille est aussi un élément de la réussite.
Horaires de passage dans les contrôles
lors de mes 4 derniers Paris-Brest-Paris
|
1991 |
1995 |
1999 |
2007 |
Départ |
20h |
20h |
20h |
20h |
Villaines |
2h32 |
3h |
3h29 |
? |
Fougères |
5h18 |
5h44 |
6h43 |
5h50 |
Tinténiac |
7h12 |
7h33 |
8h36 |
7h50 |
Loudéac |
10h06 |
10h30 |
11h25 |
10h45 |
Carhaix |
12h48 |
12h59 |
14h12 |
13h30 |
Brest |
16h11 |
16h13 |
17h19 |
1635 |
Carhaix |
20h35 |
19h09 |
20h11 |
19h37 |
Loudéac |
0h18 |
22h08 |
23h20 |
22h40 |
Tinténiac |
4h10 |
1h43 |
2h23 |
2h05 |
Fougères |
6h53 |
4h03 |
4h30 |
4h25 |
Villaines |
10h28 |
7h38 |
7h51 |
8h05 |
Mortagnes |
14h05 |
10h32 |
11h04 |
11h05 |
Dreux |
|
|
|
13h57 |
Arrivée |
20h02 |
15h20 |
16h39 |
16h48 |
Durée totale |
48h02 |
43h20 |
44h39 |
44h48 |
classement |
5ème |
1er |
3ème |
1er |